TEXTE DE DOMINIQUE TRUCO . VERNISSAGE AU MUSÉE RUPERT DE CHIÈVRES . POITIERS . LE 22 mars 2007
L’accès à la peinture de Bernard Decourchelle passe par de multiples immersions.
Dans son cheminement intellectuel et dans ce qu’il nomme des « digressions » Bernard Decourchelle relie la peinture à la métaphore de la pêche ainsi qu’à l’archéologie.
Entrer dans son oeuvre c’est donc aborder les états de quête de la pêche, de la chasse en apnée qu’il a pratiquée « parce qu’elle est contrainte par les limites comme la toile et qu’il y a mise en péril ».
« Un jour, dit-il, je veux bien tout quitter pour aller écrire sur la pêche, pour écrire sur ce que l’on extrait de l’invisible, ce vivant, résistant que l’on va chercher et dont on a essayé de sonder les fonds ».
Fonds dont on tente de se faire une image, une représentation. Fonds profonds tels qu’on les éprouve au regard des oeuvres.
La peinture comme la pêche à la surprise est un espace de combats qui se passent sous la lumière, entre la surface et les fonds. « Dans la pêche à la surprise il faut, décrit Bernard Decourchelle, aller dans l’ombre. La lumière est une espèce d’ennemie dont on doit se faire le complice pour ne pas être vu ; ses reflets à la surface nous aveuglent de l’image du fond et en même temps c’est elle qui sert à éclairer car il faut bien que le poisson renvoie un peu de lumière ».
Le poisson, (comme le motif sur la toile), il faut aller le chercher, « il est là, il n’est pas là, il remonte, il ne remonte pas ». Nous voyons dans les bruns l’obscurité des fonds. Nous remontons des ténèbres jusqu’à la transparence.
Bernard Decourchelle nous tient entre les bruns et les blancs, entre profondeur et surface, entre enfouissement et remontées. « Je crois dit-il que j’ai toujours eu plaisir à chercher ». Il est captivé par l’archéologie -qu’il a un temps pratiquée en amateur- par ces aventures toujours à la limite de l’homme, entre paléontologie et archéologie, « comme ces lieus explorés par Michel Brunet ou Yves Coppens , ces enfouissements de millions d’années qu’un souffle de vent peut redécouvrir ».
La peinture de Bernard Decourchelle est un territoire d’expériences quelque chose qui bouge et se métamorphose. Une oeuvre vivante, dont cette exposition au Musée Rupert de Chièvres et à la Galerie Louise Michel permet de révéler la profondeur.
Aucune de ces peintures nouvelles n’est soumise à une fixité mais plutôt à une physique des fluides contenu dès leur conception dans le cadre de la surface du tableau entrain de se faire. « Le tableau comme une fenêtre » ainsi que l’énonçait Alberti au XVe siècle, comme une fenêtre à plus d’un titre…, mais aussi le tableau comme l’espace restreint d’un bassin. Ce qui nous conduit à l’apparition d’une image en suspension où s’incarne cette autre pensée d’Alberti que Bernard Decourchelle aime à citer : « La peinture est elle autre chose que l’art d’embrasser la surface d’une fontaine ».
Son oeuvre est habitée par une profusion de motifs qui traversent l’histoire de l’art. Motifs qui sont aujourd’hui des stéréotypes de représentation reproduit notamment par l’industrie du rideau. Car c’est au rideau utilisé comme une trame, comme un voile de sérigraphie, comme un pochoir que l’artiste emprunte les motifs qu’il démultiplie sur le carton ou la toile.
Motifs simultanément magnifiés par leur ruine, leur déformation, leur corrosion, leur ensevelissement produit par une savante alchimie, une « picturalchimie » comme il aime à dire. Une conception qui passe par la superposition et imbibation de couches de goudron puis de laques et de térébenthine à la brosse ou au pistolet qui hâtent le phénomène de palimpseste.
Dans le cadre des rapprochements souhaités entre plasticiens et écrivains, une nouvelle publication vient de paraître réunissant six oeuvres de l’artiste et un texte de l’écrivain Denis Montebello. Ce livret vous est offert gracieusement par la Ville de Poitiers.
Merci Bernard Decourchelle pour la grande qualité des oeuvres réalisé pour ces expositions. Merci aux Conservateurs des Musées de Poitiers d’accueillir ces oeuvres. Merci à Jean-Pierre Uhlen pour l’accrochage et merci à toute l’équipe de la Dact pour leur aide et particulièrement à François Bouet
Dominique Truco
Commissaire de l’exposition
Chargée de mission pour le développement des Arts plastiques
A la Ville de Poitiers
22 Mars 2007